
STMicroelectronics : la gouvernance binationale ravive les tensions entre la France et l’Italie
Le plan de restructuration récemment dévoilé par STMicroelectronics, prévoyant la suppression de 2.800 emplois sur trois ans, ravive les tensions historiques entre Paris et Rome, selon Les Echos. Les deux pays sont co-actionnaires d’un groupe binational né d’une ambition industrielle européenne commune… mais dont la gouvernance à deux têtes reste un point de friction permanent.
Dévoilé en avril 2025, dans la foulée de résultats jugés décevants sur l’exercice 2024, le plan de réorganisation présenté par STMicroelectronics prévoit des départs volontaires étalés sur trois ans, dans un contexte de transformation industrielle accélérée par l’émergence des puces IA, la pression des coûts, et la redéfinition des priorités de production sur le sol européen.
Mais ce plan est devenu un enjeu de souveraineté nationale : selon des sources proches du dossier, le gouvernement italien redoute un déséquilibre dans la répartition des suppressions de postes, au détriment de la péninsule. Au 31 décembre 2024, STMicro comptait 12.745 salariés en Italie contre 11.528 en France. Rome soupçonne Paris de chercher à préserver ses propres sites industriels au détriment de ceux situés au nord de Milan ou dans la région de Catane.
Une gouvernance binationale qui peine à arbitrer
Née en 1987 de la fusion entre SGS Microelettronica (Italie) et Thomson Semiconducteurs (France), STMicroelectronics reste un symbole rare de coopération industrielle franco-italienne. Mais ce modèle, longtemps salué pour sa résilience technologique, souffre de faiblesses structurelles sur le plan de la gouvernance.
Les deux États actionnaires – à parité autour de 13,8 % chacun via Bpifrance et la Cassa Depositi e Prestiti (CDP) – ont régulièrement affiché des visions divergentes sur la stratégie du groupe :
- Sur les nominations de dirigeants, où les désaccords sur les profils ont souvent paralysé les processus ;
- Sur les priorités d’investissement, notamment dans les équipements pour l’automobile électrique ou l’edge computing ;
- Et désormais, sur la répartition des efforts sociaux dans une période de contraction.
Selon plusieurs analystes, ces tensions internes freinent la capacité de l’entreprise à s’aligner rapidement sur les grands chantiers du Chips Act européen, alors même que STMicro est pressentie pour jouer un rôle majeur dans la souveraineté technologique du Vieux Continent.
Une entreprise clef dans un écosystème en mutation
Avec près de 50.000 salariés dans le monde, un chiffre d’affaires annuel de plus de 18 milliards de dollars et une présence industrielle stratégique en Europe, STMicroelectronics est un acteur incontournable de la chaîne de valeur des semi-conducteurs, de la conception à la fabrication.
Mais face à la montée en puissance des géants asiatiques et américains, la société doit :
- Adapter son portefeuille de technologies (MOSFET, SiC, microcontrôleurs),
- Accélérer ses cycles d’innovation,
- Et préserver sa compétitivité dans un marché en recomposition rapide.
Un équilibre de plus en plus difficile à tenir
Le bras de fer entre la France et l’Italie illustre les limites du modèle de gouvernance binationale en temps de crise. Si ce schéma a favorisé l’émergence d’un champion technologique européen au tournant des années 2000, il apparaît aujourd’hui comme un facteur de rigidité dans une industrie qui exige agilité, clarté stratégique et rapidité de décision.